"1984" et "Le Meilleur des Mondes" (LMM) sont deux œuvres littéraires qui semblent diamétralement opposées, à l'extrême inverse l'une de l'autre, mais qui pourtant sont les deux faces d'une même pièce.
Dans l'œuvre d'Orwell "1984", l'Homme vit dans une société totalitaire où tout est privation, manque, restriction, limitation, frustration, violence physique et psychique. Le but est d'anéantir le peu d'humanité en l'Homme pour mieux le contrôler. Dans l'œuvre d'Huxley "Le Meilleur des Mondes", l'Homme vit dans une société où les individus sont strictement conditionnés, contrôlés dès le processus initial de procréation médicalement assistée afin de remplir des rôles déterminés au sein de castes sociales dont ils sont prisonniers. Dans cette société, tout est artificiel, tout est dans l'excès, gâté, dans le plaisir à outrance, le remplissage excessif, le trop-plein. Il n'y a pas de violences à proprement parler comme dans "1984", mais la violence est le déchirement invisible de l'être. À trop être diverti, dans un tourbillon de distractions, l'être est tiraillé, séparé, vidé de sa substance.
Tel est le piège qui se referme sur les individus de ces deux mondes : l'homme est conditionné dans un extrême, délogé de son centre, de son essence, pour l'enfermer en superficie de lui-même. Ces deux sociétés déracinent l'Humain de son cœur et lui font oublier sa vérité, sa puissance.
Dans "1984", les individus sont dans une telle souffrance physique et psychologique qu'elle les maintient dans cet état de surface, de survie, et les empêche de retrouver l'essence, la présence de ce qui EST : l'Amour. Dans "LMM", l'Homme est dans une stimulation permanente de dopamine qui le maintient dans des plaisirs artificiels, ce qui le rend dépendant à un remplissage permanent. La rencontre de son intériorité est complètement anéantie, ce qui le coupe lui aussi de cette rencontre au cœur de lui-même.
Dans ces deux décors sociétaux, le "Diable" gouverne et influence. Ici, le "Diable" n'est pas une entité personnifiée et fantasmée, mais une énergie d'influence involutive qui dissocie, divise. Avec la symbolique des cornes, le Diable est cette séparation par les extrêmes qui divise l'Homme en lui-même. Il n'est pas dépendant d'un décor en particulier ; "il" sert les énergies de séparation, d'aliénation, autant dans le décor sombre de l'Allemagne nazie que dans le fantasme libertaire de l'américanisation du monde. D'ailleurs, le "Diable" est tellement malin qu'il influence par le libre arbitre, c'est son outil préféré pour donner l'illusion aux gens qu'ils se libèrent eux-mêmes alors qu'ils ne font que s'enfermer de nouveau dans un contre-courant, les éloignant encore plus de leur être. "Le Diable" a toujours un coup d'avance ; il opère en restreignant une catégorie de personnes dans un extrême, nourrissant chez elles le manque et la frustration. Puis, sans avoir à forcer, ces mêmes personnes, piégées dans un rapport de dualité, vont ériger en étendard leur libre arbitre, pour, sans s'en rendre compte, se libérer de ces limitations extrêmes en allant dans l'extrême inverse. Ainsi, par leur choix, elles actent de leur plein gré un contre-courant en elles, qui les dissocie davantage. Cela a lieu, car l'Homme qui n'est pas au centre, dans son essence, est emprisonné dans un semblant de liberté, conditionné par l'horizontalité et donc la dualité. L'Humanité est ainsi baladée d'un extrême à l'autre sans sentir l'appel subtil et vibrant des profondeurs. Cet appel demande engagement et responsabilité plutôt que de nourrir un mouvement de fuite où l'herbe serait plus verte ailleurs dans ce qui est miroité. C'est le grand appel de l'épuration des illusions. Il faut ainsi du cœur à l'ouvrage, œuvrer dans un rapport alchimique. Descendre dans son creuset pour aller au cœur de soi-même et en transformer la matière depuis l'intérieur. La libération se trouve dans notre profondeur, en notre cœur pour y libérer l'Esprit.
L'Esprit, au-dessus de tout et en tout ce qui est : est Amour, l'amour avec un grand A. Non pas l'amour des attirances que Winston (1984) a pour Julia, qui se révèle être un désir éphémère, mais l'amour au-delà du sentiment, celui qu'incarne la mère de Winston. Sa mère est la personnification de l'amour par le don inconditionnel, au point de sacrifier sa vie. Ici, le sacrifice porte le message du Sacré : l'amour est don de soi au-delà de toute peur. La vie de l'autre vaut la sienne, car tout est unité, interconnecté.
C'est d'ailleurs ce sacrifice, ce don d'amour inconditionnel qui sauve le peu d'humanité restante en Winston. Même si "1984" semble se terminer sans espoir, pour ceux qui vont au cœur et lisent entre les lignes, une promesse nous est faite.
Celle chez les prolétaires, portée par une femme, une mère qui l'incarne à travers un geste tout à fait banal : étendre son linge avec Amour.
Les plus grandes révolutions ne se font pas dans des actes contestataires extérieurs comme Julia le tente, mais dans de petits actes remplis d'Amour, des dons de soi sans condition.
Car ainsi, le divin, le Sacré se révèle.
Et comme l'a si bien dit Gandalf :
"Je crois que ce sont les petites choses, les gestes quotidiens des gens ordinaires qui nous préservent du mal." Le Seigneur des Anneaux.
Jade Rosenbaum
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